23 janvier 2005

Le minuscule appartement d’une rue de Paris tremblait sous la température de l’hiver. Jwell, emmitouflée sous une couverture de laine, luttait pour ne pas sombrer. Papa n’était pas encore revenu, elle devait rester cachée et ne pas s’endormir. Deux jours qu’elle était dans l’armoire du salon. Deux interminables jours à compter le temps sur ses petits doigts, deux jours à sentir son souffle se refroidir, deux jours à s’écouter tomber. Elle n’avait pas bougé d’un pouce. Avant de partir, son père lui avait longuement parlé d’une organisation qu’elle devait craindre. À vrai dire, elle n’avait pas trop comprit, mais ça semblait important.
Après l’avoir bien installé dans le meuble, il prononça les dernières paroles que Jwell entendit de lui :
<< Jwell, ne bouge pas, je reviens dans quelques heures à peine. Si tu entends des bruits suspects, retiens ta respiration ! Ils ne doivent surtout pas te trouver. Je t’aime, ma chérie. >>

Jwell était une enfant étrange issue d’une famille étrange. À l’école, elle n’avait pas d’amis. Elle ne parlait pas beaucoup aux autres et psalmodiait toujours des mots incompréhensibles à voix basse. Son seul plaisir était la lecture. Même à son jeune âge, 7 ans plus précisément, elle dévorait des classiques anglais sans relâche. Mais ce n’était ni ses passions ni son comportement qui faisait peur aux gens. Elle dégageait une aura surnaturelle, comme tous les sorciers. Les gens fuyaient instinctivement à sa simple présence.
<< Pourquoi personne ne nous aime, Papa ? >>, Avait-elle demandé le jour de son 5ème anniversaire, alors qu’un chien venait d’aboyer à son passage.  
<< Parce que nous sommes les Michaelis >> fut la seule réponse de son paternel. Elle ne comprit que bien plus tard, quand elle reçu son premier livre de sorts.

La jeune sorcière s’acharnait sur la tâche ardue de compter pour la huit-cent troisième fois son nombre de cheveux lorsqu’elle entendit la porte de la maison s’ouvrir. Elle retint son souffle, se crispa dans un coin de l’armoire. La peur s’installait en elle, brusque, rude et visqueuse à la fois. Un halètement étouffé emplit la pièce. Un temps d’arrêt. La personne, probablement une femme vu le bruit de talons, semblait reprendre son souffle après la montée de 66 marches. Jwell le savait, elle les avait comptées. Des pas firent le tour de la maison. Une fois, deux fois. Enfin, un cri retentit.

<< Jwell ! Jwell ! Où es-tu ? C’est moi, ta mère ! >>

L’enfant n’avait jamais vu sa mère. C’était pour elle un mystère. Malgré ses questions, son père ne lui avait jamais rien révélé. Le chantage, les yeux doux, rien ne fonctionnait. Elle était même allée jusqu’à croire que l’histoire de la cigogne était vraie, mais seulement pour les pères célibataires et désireux de perpétuer leur parenté. Jwell ne put se retenir. Elle ouvrit lentement la lourde porte en bois et risqua un regard à l’extérieur. Une femme d’âge moyen se tenait dans l’entrée, les bras ballotants, comme si elle ne savait pas où les placer. Elle était coiffée d’une longue tresse rousse et habillée d’une chemise blanche rentrée dans une longue jupe noire.
<< Une élégance irréprochable. Un regard terne, coincé, fade. Un sourire sans valeur. Probablement une personnalité du même acabit. Exactement le genre de personne que je déteste>> pensa Jwell.
Dès que la femme vu la jeune fille sortir timidement du placard, un masque s’installa sur son visage. Des yeux brillants et des lèvres bienveillantes l’accueillirent.
La mère prit sa fille dans ses bras.

< Où étais-tu, maman ? Que faisais-tu ? Pourquoi tu n’étais pas là ? >

Des tonnes de questions s’enchaînaient dans la tête de Jwell. Mais une seule fut posée. La plus importante. Celle dont la réponse préoccupait réellement la petite fille.

<< Où est Papa? >>

La mère fut déçue de la question. Évidemment, elle ne le laissa pas paraître.

<< Je ne sais pas, ma chérie. Puis elle changea immédiatement de sujet : Nous déménageons dans ma résidence à Weird Falls, en Oregon. >>

La mère et la fille disparurent. Ils ne surent pas tout de suite où elles s’étaient cachées, époque qui tire à sa fin.
<< Il ne nous reste que deux Michaelis. Je vais enfin en finir avec cette famille récalcitrante >>

Ils approchent.


6 décembre 2013

-Si tu pars avec elle, ne t’approche même pas de cette maison ! Je ne veux plus te voir. Quelle honte pour les Michaelis, une enfant impure !
-Très bien. Adieu, Maman.
Jwell passa le cadre de porte de devant pour la dernière fois. Elle descendit les petites marches pour la dernière fois. Elle sauta pour la dernière fois sur les pierres pâles, les seules qui sont sécuritaires. Elle se retourna et admira le jardin qu’elle avait tant garni lorsqu’elle était jeune. L’adolescente fit de vagues adieux à la vieille maison de la rue Kovaleski. << Ce n’est pas une grande perte>>, pensa-t-elle. Jwell n’avait jamais été proche de sa mère. En plus d’être homophobe et raciste, elle était fausse. Toujours à mentir sur elle même. La jeune adulte détestait ce genre de gens. En somme, elle détestait sa mère. Un sourire illumina le visage de la jeune fille quand elle aperçu au loin sa copine qui lui faisait des grands signes. Elle se jeta dans les bras de son amour et y resta longtemps.
-Je veux tout recommencer à neuf. Murmura-t-elle d’une voix faible, alors que quelques larmes coulaient sur ses joues.