Mon histoire? Avant ça j'aimerais bien savoir pourquoi vous approchez une enfant de 11 ans comme ça, sans aucune introduction. Ah. Vous êtes juste curieux. Bien. Je suppose que de toute façon vous ne pourrez pas répéter ce que je vais vous dire. Asseyez-vous donc, vous serez mieux installés. Après tout, ce qui m'est arrivée est à peine croyable. Parfois j'ai l'impression que ce n'est qu'un rêve et que je vais me réveiller.

Tout commence à Londres, à l'hôpital Wellington. Jusqu'ici et un peu au-delà, une histoire parfaitement banale. Je suis née sous le nom d'Ann Powell. Enfin, Annabeth Powell, mais comprenez que je préfère dire Ann Powell. Mes parents, de simples humains étaient sympathique, l'archétype du couple lambda. Liz et Allan Powell. Je n'ai pas tellement de souvenirs. Je crois parfois me remémorer d'un sourire, d'un geste tendre, mais ce n'est peut-être qu'une simple conjecture de ma part. En tout cas, ma vie a commencé avec eux. Une vie simple et normale. Néanmoins, quand j'ai commencé l'école, il s'est avéré que j'étais douée, même peut-être un peu trop. Je ne sais pas trop le pourquoi du comment, mais tout ça me semblait facile, simplissime. Rapidement j'ai sauté une classe. Pas facile pour un enfant. On est coupé des gens que l'on a côtoyé, on arrive dans une classe aux groupes déjà formés. Et c'est ainsi que la solitude est venue à moi, embrassant chacun de mes pas. Mais je ne vais pas non plus m'appesantir sur cette période de ma vie. Je pense que ce que vous voulez savoir se passe après.

Âgée de 6 ans, j'ai accompagné mes parents en voyage. Jusqu'à là, c'est plutôt normal. Tout se passait plutôt bien, un petit hôtel sympa en Amérique, des vacances qui commencent bien. Puis vint la nuit. Cette nuit fatidique que le destin voulut placer sur mon chemin pour jouer avec ma vie. Cette nuit où mes parents me demandèrent de m'asseoir et d'écouter. Aucun mot n'est sorti de ma bouche et mes yeux se sont baissés sur le ventre de Liz Powell. Une larme vint trahir mes sentiments, vite suivie par d'autres. Je me souviens m'être levée, d'avoir passé la porte puis de m'être enfuie. Je ne sais pas combien de temps j'ai couru, ni dans quelle direction. Je ne sais pas comment mes parents ne m'ont pas retrouvée, mais cela est sans doute dû au fait que je me sois enfoncée dans la forêt qui bordait notre hôtel. Mes larmes m'aveuglaient et je ne pouvais pas faire autre chose que courir. Courir encore et encore. Courir loin. Courir. Toujours. Puis mon souffle se coupa et je trébuchai sur je ne sais quoi. J'avais du mal à reprendre mon souffle. Je n'avais jamais autant couru. Jamais de cette manière. J'étais perdue, je ne savais pas où aller. Puis un bruit me fit sursauter. J'avais entendu des histoires de bêtes cachées dans les forêts, mais mon esprit avait toujours décrété que c'était un mensonge. Puis ils brillèrent. Ces yeux dorés, infiniment sauvages. C'en était presque hypnotisant. Presque. Toute logique me quittant, je me relevai avant de faire la dernière chose à faire. Fuir. Je courus encore, dépassant mes limites déjà atteintes. Puis vint le choc. Le poids de mon agresseur se jetant sur mon dos, me faisant tomber au sol. Mon souffle se coupait et des étoiles apparurent sur le sol de la forêt. Allais-je mourir? Je ne savais pas, la seule chose réelle à mes yeux, à ce moment furent les crocs s'enfonçant dans mon cou. Je hurlai, cherchant en vain à m'échapper, à lutter contre un agresseur bien plus fort que moi. Je m'agitai, les larmes brouillant ma vision puis on me relâcha. Et l'enfer se déchaîna. Ceux qui n'ont pas vécu la morsure comme je l'ai subie ne pourront jamais comprendre. C'est comme si tout mon être était en fusion. Je bouillais. De l'intérieur. L'impression que tous mes os se cassent un par un, fondent pour se resouder ensuite. Il n'y avait plus d'air autour de moi, juste des flammes, un poison violent qui se répandait en moi. Comme si on m'écartelait sans que je ne puisse me défendre, puis l'inconscience bienvenue. La dernière chose que j'ai vue cette nuit fut des yeux dorés prenant une couleur aussi sanglante la vision qui semblait filtrer toute lumière à ma perception.

Puis le lendemain arriva. À moins que ce ne soit plus tard? Mes yeux s'ouvrirent et une brusque nausée m'enveloppa me donnant envie de vomir tripes et  boyaux. Ma tête me faisait souffrir. Était-ce un rêve? J'ouvris les yeux, immédiatement éblouie par le soleil. Où étais-je? J'ai cru, à cet instant être dans la forêt et que tout ça n'ait été que le fruit de mon imagination. Un visage apparut devant le mien et je manquai de donner un coup de tête à ce dernier. Deux yeux me fixaient, d'un brun renversant. Si chaleureux... Si vivants. Je me relevai et faillit retomber. L'homme m'aida à m'asseoir. En le dévisageant, un sentiment étrange naissait en moi. Ne croyez pas que c'est de l'amour, bande d'idiots, je n'avais que 6 ans. Mais ce qui grandissait en mon âme était un sentiment d'appartenance, de soumission. Je ne pourrais pas lui désobéir, il était... Je ne sais pas comment le définir. Plus fort? Il soupira et m'expliqua. J'eus du mal à le croire. J'étais un loup et il était mon alpha, jusqu'à ce que je morde quelqu'un? J'étais un loup et il m'avait mordu. J'étais un loup et je subirai désormais l'influence de la pleine lune et de mes humeurs. J'étais un loup et je n'en avais même pas peur. Au fond de moi, il y eut comme un grondement de satisfaction. Je sentais une présence, infime mais bien là. Était-ce ça dont il parlait? Un loup endormi en moi, qui s'éveillait à mes sautes d'humeur et à la lune pleine? J'en suis persuadée. Puis vint l'heure du choix. Je pouvais repartir. Il chercherait mes parents et me laisserait m'en aller, même à regret. Il me laisserait partir très loin de lui, l'Angleterre étant loin, très loin. Je pouvais rester avec lui. La première option était dangereuse. N'avoir aucun guide, en cette terre lointaine, sans possibilité de chercher de l'aide. Il m'avait dit qu'il m'accompagnerait si je voulais partir, mais je savais bien qu'il en serait torturé. En même temps, rester ici voulait dire que je devais tirer un trait sur mon passé, l'enfouir au plus profond de moi. Je choisis cette solution. Mes parents n'avaient plus besoin de moi. Je leur faisais déjà peur avec mon caractère qui n'était pas assez proche d'une gamine de 6 ans, alors avec mon loup en plus, ce ne serait pas gérable. Rester serait douloureux, mais moins problématique. Il me proposa d'aller apercevoir une dernière fois mes parents, je refusai. Ce serait encore plus dur après. Il me prit la main et m'emmena à Weird Falls. Il avait entendu parler de cette ville et avait décidé de s'y installer. Je faisais partie de ses bagages à présent. Il me fallait changer de nom, car je ne serai plus jamais Ann Powell. On m'inventa un passé et il me donna mon prénom, Elea. Il me disait que ça m'allait bien. Pour le nom, il me donna le sien, Lane. J'étais à présent Elea Lane, petite soeur de Heathcliff Lane dit Heath. Il n'était pas assez âgé pour prétendre être mon père et cela poserait des problèmes. Il me raconta sa vie, et inventa notre passé commun. J'étais sa soeur qu'il était venu chercher à la mort de nos parents.

On arriva à Weird Falls et on s'installa dans une maison sur Spinelli Street. Je repris l'école et de la même façon qu'en Angleterre, je ne resta pas dans ma classe. À ce jour, j'ai sauté trois classes. Étant de la toute fin de l'année, je n'ai encore que 11 ans et je suis déjà lycéenne. Je n'étais pas assez étrange comme ça. Cela fait rire Heath, moi, moins. Mais bon, c'est comme le fait d'être un loup, on ne choisit pas forcément. Je vous vois venir. Entre 6 ans et 11 ans, que s'est-il passé en dehors du scolaire? Comment ai-je géré mon loup? Ces questions futiles qui vous semblent importantes. Très bien, c'est parti. Je ne vous promets pas de tout vous raconter, certains détails, je préfère les garder pour moi. Soit ils sont trop précieux pour que je vous autorise à les connaître, soit, ils ne sont pas intéressants. Bref. En 5 ans, que s'est-il passé en dehors de mon parcours scolaire un peu... inhabituel? Et bien il a fallu que je gère les premières transformations et je peux vous dire que ce n'est pas de la tarte. Je remercie infiniment Heath d'avoir été présent. Sans lui... Je crois que j'en serais morte. À moins que je n'ai égorgé pleins de personnes avant de me faire tuer par les chasseurs. Donc au final, je serais en train de moisir 6 pieds sous terre. Enfin, je suis vivante et désormais je maîtrise un peu mieux. Encore heureux, avec 5 ans d'entraînement. En cas de grosse colère, je ne promets pas de rester de marbre, sans quelques poils indésirables ou des yeux flashy... Mais disons que j'arriverai peut-être à ne pas vous trancher la gorge...