La meute Blue n’était, au début, qu’un ramassis de pauvres loups de tous les horizons, ayant habituellement perdu leur famille. Vous ne connaissez pas ce nom ? Normal, cette meute s’était formée dans les alentours d’Ogdensburg, une ville de l’état de New York, sur la côte Est. C’était bel et bien le père d’Accalia, un certains Ethan, nouvellement transformé, qui souhaitait réunir les membres d’une même espèce de la région, afin de veiller sur les autres, protéger, aider. La plupart étaient des débutants en la matière, mais peu à peu un lien de famille s’est imposé, et on a véritablement accepté monsieur Blue comme alpha. Ensemble, ils ont développé une amitié, et ils sont devenus soudés, plein d’expérience. Il n’a pas tardé à trouver parmi eux l’amour de sa vie, une jeune louve appelée Suzy, la crème de la crème. Têtue comme une mule, elle fut difficile à séduire, mais elle en valait la peine, car quelques années plus tard, les deux tourtereaux se mariaient, et elle devenait officiellement l’alpha femelle de la meute. Ethan Blue était quelqu’un de bien, de fiable et de très aimant envers sa meute, sa famille. Il était juste mais peu autoritaire; c’était là-dedans que Suzy intervenait, beaucoup plus dure, mais tout proche de siens et acceptés.

Quelques années plus tard est né leur premier fils, qu’ils baptisèrent Connor, en l’honneur du grand-père de Suzy. Quelques six ans plus tard, Vulcain vit à son tour le jour. Finalement, presque trois ans après, naquit la petite dernière de la « portée » alpha de la meute; Roxane Accalia, qui, plus tard, fut appelée simplement « Accalia » par les membres de la meute et son entourage, tout simplement parce qu’elle le méritait bien, ce nom. Pour faire bref, ensemble, les enfants vécurent une enfance plutôt paisible, mais tous développèrent des idéaux différents, provoquant parfois des frictions. Connor rêvait, dès qu’il aurait l’âge et qu’il aurait finit ses études, de quitter cette maudite maison et d’aller rouler librement sur les routes des États-Unis. Au début, les parents des jeunes loupiots ne le crurent pas, tout simplement parce qu’ils avaient autre chose que des paroles sans signification à s’occuper, mais aussi parce qu’ils ne pouvaient pas croire qu’un loup-garou natif puisse autant rejeter sa vraie nature. Or, Connor rêvait de vivre une vie d’aventure, de se découvrir tout seul, de faire le tour de son pays, et cela, sa condition ne le lui permettait pas exactement. Ainsi, à ses dix-huit ans, monsieur vola de ses propres ailes et s’enfuit sans laisser de trace, sous le regard ahurit des parents, dans sa vieille caisse rouillée des années 90. Personne n’osa le communiquer après.

À partir de ce moment, peu de choses s’arrangèrent. Il fallait dire que Vulcain adorait son grand frère. C’était son image pour lui, il l’admirait, il prenait exemple sur lui. Autant dire que ce ne fut pas que son frère qui le quitta, mais son modèle aussi. Perdant toute personne sur qui prendre exemple – et oublions le père, qui lui, semblait trop occupé à faire découvrir à ses enfants leur côté loup – il commença à faire des mauvais coups, à se retrouver auprès du poste de police du coin. Et malgré toutes les interventions, et parfois même les placements auprès d’un organisme servant à le « rééduquer », rien n’y fit; le jeune homme s’amusa à voler, à vandaliser, auprès d’un gang de petit loups-garous de son âge, et, étrangement, provenant de la meute Blue. Et c’est leurs activités qui attirèrent l’attention d’ennemis : les chasseurs. Ils les repérèrent tout de suite. C’était une famille de chasseurs, nouvellement installés à Ogdensburg, mais qui savait ce qu’elle faisait; c’étaient des êtres redoutables, sans pitié, qui malgré la paix qui habitait la ville – malgré sa peuplade louve – souhaitait éradiquer à jamais leur race. Ils purent remonter jusqu’à leur trace, la trace des loups-garous, de la meute Blue.

À peine quelques années plus tard, ils avaient recueilli assez d’information pour s’en prendre à la meute. Ils le firent lors d’une nuit tranquille, enfin tranquille pour les humains, car les loups-garous de la meute Blue s’amusait à l’extérieur, dans la cour de leur manoir, à se transformer à se battre doucement. Bref, des activités qu’ils appréciaient beaucoup et auxquelles, insouciants, ils participaient et s’adonnait. Personne ne fut au guet cette soirée-là. Personne, sauf Accalia. Accalia qui avait eu un mauvais pressentiment. Dès qu’elle aperçut l’ombre d’un humain étrange, armé jusqu’aux dents, elle s’élança auprès des siens, à qui voudrait l’entendre, que des chasseurs venaient les tuer. Aussitôt, ce fut la panique. Et ce fut le signal pour les chasseurs, qui formèrent un cercle autour des loups, qui mutèrent dans un vacarme total. Heureusement ils étaient un peu à retrait de la ville, aucun autre humain ne les entendit de leur manoir. Les armes fusèrent. Des flèches empoisonnées. Des balles d’argents. Ethan ordonna à Suzy de prendre les enfants et de les emmener avec elle pendant le feu et la bataille, ce qu’elle fit, reprenant sa forme humaine, s’installant dans la voiture et s’enfuyant. Les chasseurs ne s’en rendirent même pas compte, trop occupé à faire souffrir les autres loups. C’est dans la voiture, blottie contre Vulcain, qu’elle apprit la triste nouvelle : tous les loups de la meute étaient tombés. Tous, avec son père. Tous, excepté elle, sa mère et son frère.

Mais Suzy ne se laissa pas aller à la tristesse. Elle savait ce qu’il fallait faire. S’enfuir, loin, emmener avec elle les vestiges de la meute Blue. Ses enfants. Il fallait les réunir, les emmener loin. C’est sur le chemin, en route vers l’Oregon, presqu’à l’autre bout du pays, qu’elle appela, pour la première fois depuis des années, son fils aîné : Connor. Comment avait-il préservé le même téléphone aussi longtemps ? Il doit être resté longtemps bloqué dans sa vie d’adolescent du début 21ème siècle. Acca ignore comment, mais il les rejoignit. Visiblement sa mère l’avait convaincu en annonçant la mort de son père. Il les rejoignit en Oregon, où tous l’accusèrent d’irresponsabilité. On dirait qu’à ce moment, il eut un déclic en lui. Il accepta la charge, le poids de la famille. Et il prit les devants, laissant la mère pleurer la mort de son mari, pendant qu’il conduisait droit vers une nouvelle maison.

Une nouvelle maison. Weird Falls. Il savait tout. Il savait qu’il s’agissait d’une communauté florissante de créatures surnaturelles, comme nous. Il croyait qu’ainsi, ce serait plus facile de s’y installer et de s’y faire accepter. Mais ignorait-il que là-bas aussi, il y avait des chasseurs ? Peut-être. Tout ce que je sais, c’est que quelques jours plus tard, nous arrivions à une nouvelle maison, enfin nouvelle n’était pas le mot exact; c’était une véritable antiquité, en quartier vieux. Retour à 0. Comment accepter la mort de son père ? Comment… comment accepter la mort de sa meute, et… et recommencer à vivre comme si de rien n’était ? Non. Il fallait se rappeler de qui il était. De qui eux-mêmes étaient. Ils étaient des loups-garous. Ils étaient une meute. Il est encore temps de la refonder. D’accepter ce qui s’est passé. De veiller sur ce qu’il nous reste.

Et Connor l’accepta. Il l’accepta, et prit la charge de l’Alpha. Maintenant, c’est lui le chef de famille, et ma mère aussi. Cette dernière, au fil du temps, est devenue encore plus autoritaire envers Accalia, Connor et Vulcain. Mais lentement, ils remontent. Et Acca, avec son enthousiasme, sa confiance, semble être le point d’ancrage de la famille, celle qui les empêche de sombrer dans la tristesse, qui les ramène sur Terre et les aide à rebâtir leur vie.

« Sad to see you go. »