6 janvier 2005
Elle était en forêt. Pas n'importe quelle forêt : celle où chaque pas vous fait frissonner, celle où les craquements des feuilles mortes sont signe de danger, celle où les arbres dénudés de feuille, maître des lieus, semblent vous maudire. Du moins, c'est ainsi que la percevait Rose. À peine s'était-elle engagé dans le sentier cahoteux qu'elle sentit une ambiance lourde, pesante, comme si le ciel allait lui tomber sur la tête. Sûrement ses parents l'avaient-ils remarqué ; ils jetaient des regards alarmés autour d'eux à intervalles réguliers, soupçonneux.

Les parents de Sayu Rose formaient un couple désordonné et excentrique : le mâle, dégingandé aux jeans d'un bleu vif, aux lunettes rondes qu'il ne cessait de remonter du bout du doigt et aux baskets couteuses, la plupart du temps délacées, puis enfin la femelle sérieuse, serrée dans ses habits de bibliothécaire noirs et dans ses souliers à talons excessivement hauts. Absolument rien dans leur style ne concordait, mais ils étaient beaux à leur façon, sans pour autant avoir une once de coquetterie. Sans doute était-ce du à leur douceur qui était constamment affichée sur leurs visages. Une sérénité imperturbable, songeait Rose.

Pourtant, en ce moment, les traits de ses géniteurs étaient inquiets, étirés par l'anxiété, ce qui mit l'enfant dans une fureur immense. Elle en voulut à ce paysage macabre pour leur avoir retiré ce qui faisait d'eux les êtres les plus attachants du monde.

- Arianna ! Papa et maman vont vérifier quelque chose, d'accord ? Ne bouge pas et cache-toi si nécessaire.


Jamais ils n'avaient laisser Rose seule, jamais ils n'étaient partie de cette manière subite. La vampire opina sans conviction et regarda ses parents s'éloigner d'une vitesse surhumaine. Sa mère en perdit même son chapeau de jais. Rose avança lentement, d'une démarche qui ne lui était pas familière. Puis elle se pencha, tout bonnement, et saisit le chapeau entre ses doigts fin, le posa sur sa tête et soupira. Tout cela était dénué de sens, au point de ne plus se souvenir pourquoi elle était ici.

Une présence près d'elle la fit sursauter. Des ombres se mouvaient, l'effleurant de part et d'autres, sautant d'arbre en arbre, s'assurant de la faire trembler de tous ses membres. Rose se sentait défaillir.

- Qui est là ? Montrez-vous ! hurla-t-elle, au bord de l'hystérie.

Les silhouettes s'immobilisèrent. L'une d'entre elles gloussa, puis plus rien. La gamine entendait des bruissements au loin, et soudain, abandonnant tout bon sens, elle bondit, s'agrippa à un arbre et les poursuivis de la même manière, slalomant entre les troncs cireux ou les escaladant. Ce qu'elle vit la fit hoqueter : trois vampires blafards, rassemblés autour d'une même proie. Cette proie s'avéra être une humaine. Rose était loin d'être étonnée, mais elle n'avait jamais souhaité assister à ce genre de scène. Une femme du groupe se retourna vers Sayu Rose, le sang barbouillant son visage impeccable, ce qui rendit son sourire carnassier encore plus effrayant.

- C'est notre butin, dégage, susurra un homme chauve.

Rapidement, elle fut encerclée, piégée de toutes parts, comme un phoque sortant de l'eau et assassiné par des chasseurs. La jeune vampire de débattit de toutes ses forces, ses cheveux rougeoyants voltigeant d'un côté puis de l'autre, mordant la peau glacée des autres, sans succès. À court de moyen, elle hurla comme un fauve qui rugissait sa rage.

Arianna ! Arianna ! Arianna ! criait une voix lointaine.

Ses parents progressaient rapidement, cependant d'une vélocité presque insuffisante.

- Hey, on la garde ! Elle semble assez puissante pour une gamine... proposa un noir (ou plutôt un rouge dans les circonstances).

Rose fut projeté et maintenu au sol par le chauve, son haleine pestilentielle de sang datant de plusieurs jours soufflant sur son visage. Le coeur au bord des lèvres, la fillette se résigna et se tint tranquille, lorsque ses parents arrivèrent soudainement, crocs sortis.

- Ne la touchez pas ! gronda sourdement sa mère.

Rose ne suivit même plus la suite du combat, tout ce qu'elle savait, c'est qu'ils finirent par gagner. Là, enfin, les larmes jaillirent d'un seul coup et elle sauta aux bras de son paternel.

- C'est fini, Arianna, c'est fini... murmura son père.

- C'est Sayu, maintenant, papa, protesta-t-elle faiblement.

Je ne deviendrai jamais comme ces monstres, se promit-elle. Ôter la vie d'un autre pour sa propre extase... jamais.



9 octobre 2013
- Bonne fête Rose ! Bonne fête Rose ! Bonne fête, bonne fête, bonne fête Rooooose ! clamaient ses parents ainsi qu'une couple d'humains, tous agglutinés autour d'une mousse à la framboise, espérant en recevoir une pointe le plus vite possible.

Rose ne put s'empêcher d'esquisser un sourire satisfait ; c'était enfin son anniversaire. Observant qu'on la fixait avec insistance, elle prit une grande inspiration, puis souffla toutes les bougies d'un coup. À chaque année, elle s'entêtait à réussir ce défi : éteindre toutes les chandelles en un seul souffle. Bizarrement, Rose ne ressentait plus aucune joie en faisant ce geste, seulement une nostalgie persistante. Elle lança un regard contrit à ses parents, qui ne savaient comment l'interpréter.

Les cadeaux ! s'écria sa mère, pressée de voir sa belle Arianna sourire.

Ils s'installèrent au salon, attroupés près de l'adolescente vampire. Rose s'assit en indien, scruta les paquets entreposés de manière aléatoire près du téléviseur et ferma les yeux, pointant un présent du bout du doigt. Son père lui tendit le cadeau. Avide de découvrir ce qu'il contenait, la vampire s'empressa de déchirer le papier décoré de Melon-chan, un personnage d'animés. Sayu Rose entendit un petit couinement indistinct, suivi par un grattement furtif. Aussitôt, un sourire s'étendit sur son joli visage. Elle repoussa une mèche de cheveux rebelle, puis pris la petit souris dans ses mains.

Oh, merci ! Papa, maman ! lança-t-elle avec enthousiasme.

Je peux la prendre ? dit Hanna, son amie, avec envie.

Rose passa la souris à Hanna, qui la mordit, apeurée. La vampire se figea. Du sang. Elle regarda la goutte tomber au sol. Tic tac tic tac... le temps passait si lentement. Rose luttait de tout son être. On percevait dans ses yeux une rage, une pulsion, une envie irrépressible de lécher ce sang perlant et souillant le parquet. Juste un peu..., tenta-t-elle. Sang. Sang. Sang. Non. Et si... Non. L'adolescente céda et, crocs à découverts, s'avança vers une Hanna horrifiée. Les cris fusèrent, tandis que Rose se déchaînait. Tout se déroula si vite. Ses parents bondirent à ses côtés, l'empoignèrent avec force et une brutalité qu'il ne leur ressemblait pas, puis disparurent, leur fille sur le dos. Rose, les doigts crispés contre le bras de son père, en vint à se faire mal.

Je... je suis désolé... dit-elle entre deux sanglots.

On doit quitter le Japon, Rose, déclara sa mère.

Son paternel la posa au sol, tandis qu'elle reprenait ses esprits. Elle prit une grande inspiration, et acquiesça. Ainsi fut sa journée de fête...